Isabelle Mercier (oui encore, c'est dure de la louper en ce moment ) à eu le droit à un article dans Libération. http://www.liberation.fr/transversales/portraits/309702.FR.php
Dame tombée à picIsabelle Mercier. Cette Québécoise de 32 ans, ambitieuse et désinhibée, est l’emblème féminin d’un poker qui sort de sa mythologie pour se mondialiser.
LUC LE VAILLANT photo MATHIEU ZAZZO
Les phénomènes de mode ont besoin de s’incarner dans des visages, des figures. Touchée par la vague poker, la France a fait de Patrick Bruel son valet de cœur. Champion du monde épisodique d’un univers qui multiplie les titres comme des petits pains, le chanteur est surtout un amateur éclairé, au fort coefficient de sympathie et aux enthousiasmes pédagogiques. Dans ce jeu perçu comme celui des cow-boys défourailleurs et des mafiosi à la Borsalino, la féminisation est également un argument marketing obligé, à l’heure de la banalisation démocratique.
Pas encore pourvu, le rôle de la dame piquante devrait être tenu par Isabelle Mercier. Pour franciser un jeu ultra-américain dans ses mythologies, on ne peut rêver mieux que cette Québécoise à cheval entre deux cultures. Elle est nord-américaine par sa violente envie de réussir, par son approche décomplexée du business, par sa facilité à boucler ses valises. Elle est française par son goût des plaisirs, par son besoin de sociabilité, par son art de la conversation.
Pendant ses études d’avocate, elle commence comme croupière à Montréal. Puis son entregent fait merveille à l’Aviation Club de France, le cercle de jeu le plus coté de la capitale. A force de vanter les charmes du poker, elle finit par tenter sa chance. Et de «main» en «main», par passer professionnelle. Championne féminine en 2004, elle ne survend pas ce titre de gloire. «Parmi les joueurs, il n’y a que 2 % à 3 % de femmes.» Elle préfère se compter parmi les piliers des deux cents accros qui en ont fait leur métier. Et espérer devenir la première fille à intégrer l’informelle «ligue des douze monstres», celle des caïds du jeu.
Entreprenante et suractive, elle s’échine à élargir son registre. Sponsorisée par un opulent site de jeu en ligne, elle joue sur Internet, conjuguant obligation et addiction. Et c’est en DVD qu’elle prodigue ses méthodes de bluffeuse aux débutants. Dernière diversification : «Une ligne de vêtements. Des tenues casual, à des prix abordables, avec comme motifs des têtes de mort !» Histoire d’être raccord avec son agressif totem : «No Mercy», pas de pitié. Surnom saluant l’agressivité de ses relances, et la comblant au possible. Commentaire d’un de ses mentors : «Isabelle est un vrai bolide. Elle est sûre d’elle et prête à monter au front.»
Dans une grosse bourgade, entre Montréal et la ville de Québec, l’enfance d’Isabelle fut pourtant tranquille et campagnarde. Son père est «monteur de lignes électriques». Sa mère est «agent manufacturier dans l’ameublement». Ses parents se séparent quand elle a 8 ans. La situation ne se complique que lorsque sa mère déménage pour rejoindre son nouvel ami. Refusant de changer ses habitudes, la gamine, déjà indépendante et décidée, choisit de rester avec son père. Ce qui entraîne le rapatriement maternel.
Les samedis soirs d’enfance, c’est tripot à domicile, avec oncles, tantes, cousins, cousines. Jeux de cartes, jeux de société. La jeune demoiselle joue des coudes pour être admise à la table des grands. Deux obligations : ne pas pleurer si on perd, ne pas miser au-dessus de ses moyens. Son argent de poche n’y suffisant pas, Isabelle multiplie les petits boulots et y excelle, commerçante très avenante.
A Victoriaville, on vit convenablement, mais on ne roule pas sur l’or. Isabelle Mercier se souvient : «C’était une vie très modeste. L’argent, c’était difficile. Mes parents la jouaient très "secure". Ils étaient économes, comme beaucoup de gens à l’époque. Ils ne dépensaient jamais plus que ce qu’ils avaient en caisse.»
Elle va adopter une approche radicalement inverse. Elle dit : «Je ne suis pas une stressée du pognon.» Elle a une forte conscience de la brièveté de l’existence. Et ne veut surtout pas «mourir les poches pleines». Alors, elle emprunte afin d’être obligée de s’activer pour rembourser. Ou bien, quand les rentrées sont considérables, elle flambe. Il lui faut des suites luxueuses. Ce jour-là, à Paris, dans un hôtel des Champs-Elysées, cela n’a rien d’ostentatoire, mais c’est séquence nostalgie et retour sur les lieux des «crimes» passés. Plutôt bimbo que bobo, cette fashionista fait des razzias de chiffons griffés. En avion, elle choisit de voler en business, tente à chaque fois le surclassement en première classe, et estimera avoir réussi quand elle aura son jet privé. Sinon, le charmant moineau (1,58 m pour 45 kg) n’a pas vraiment un appétit d’oiseau. Des gastros, elle choisit les plus beaux. Ducasse et son caviar osciètre, langoustines rafraîchies, nage réduite, bouillon parfumé. Robuchon et sa caille caramélisée avec pomme purée à la truffe. Pour les vins, envoyez-lui le sommelier. Elle n’est pas inscrite aux Alcooliques anonymes. Ni partie prendre les eaux, comme toutes ces curistes émincées d’anxiété.
Ayant fait de son genre son argument de vente, Isabelle Mercier n’hésite évidemment pas à se revendiquer féministe. Et ses modèles sont en phase avec sa voracité de réussite. D’abord, la «material girl». Elle adore chez Madonna cette façon de bâtir son personnage, ces manières fortes de femme assurée d’elle-même. Après comparatif avantageux des QI («Avec 145, je suis entre Madonna, 140, et Sharon Stone, 154»), Isabelle Mercier poursuit : «Madonna a toujours été en avance sur son temps. Et puis j’aime qu’elle choque. Que les gens disent qu’elle en fait trop. Parce que quand c’est une femme, c’est toujours trop.» Petite sœur affranchie des bavardes délurées de Sex and the City, Isabelle Mercier revendique ses pulsions de célibataire n’ayant pas froid aux yeux. Le duo risque-récompense du poker sécrète une adrénaline aphrodisiaque. Elle écrit : «Gagner, c’est le meilleur feeling du monde après l’orgasme. Quoique, ça dépend des orgasmes.» Sinon, vu la masculinité des troupes, il est sûrement plus facile d’être une prédatrice au pays des prédateurs que l’inverse.
Second modèle : Hillary Clinton. La nomade permanente se mire peu souvent dans les écrans pantelants des malheurs du monde. En France, cette monomaniaque du poker aurait soutenu Sarkozy pour une raison simple : «C’était le plus favorable au monde des jeux.» Sa vanité a surtout été flattée de partager les dos des kiosques avec lui, en mai dernier. Mais aux Etats-Unis, elle en pince pour Hillary. Depuis Las Vegas, où le poker continue à entretenir ses vieilles légendes scabreuses, elle admire sa manière de se refaire, sa solidité de femme humiliée appliquée à prendre sa revanche sur Bill et les autres.
Pour autant, Isabelle Mercier ne se gêne pas pour utiliser les atouts de l’éternel féminin. Elle recommande à ses consœurs : «Si vous pouvez user de vos atouts physiques à la table, je vous en prie, faites-le. C’est très troublant pour tous vos adversaires, même pour les femmes !» Elle peut apparaître lunettes à la J-Lo, tenue ajustée, sous-vêtements Victoria’s Secret, bas Lagerfeld pour Woolford, escarpins Jimmy Choo, et un nuage d’Instant de Guerlain. Seule la victoire est jolie, et le gros chèque aidera la gagnante à assumer des contradictions qui l’angoissent peu. Car quand elle a du jeu, tout va bien.