Bien que partisan d'un fort interventionnisme de l'Etat, le rapport parlementaire Myard-Blessig reconnaît la nécessité d'une ouverture du marché des jeux d'argent en ligne
Vous avez dû certainement lire ici ou là le communiqué de presse du 6 février dernier, suite à la sortie du rapport parlementaire Myard-Blessig, comme cet article de l'Express (titré : "Paris en ligne: deux députés partent en croisade").
Si nous ne vous en avons pas parlé plus tôt, c'est que nous ne voulions pas reprendre bêtement le communiqué de presse sur ce rapport (comme le font les journalistes des grands médias) sans en connaître le contenu ! Nous attendions la publication du rapport (ce qui fut fait seulement en fin de semaine dernière) avant de pouvoir en parler et le juger ! D'autant plus que le rapport est moins tranché que ce qui en a été dit dans la presse, qui, à son habitude, caricature les propos pour mieux racoler le lecteur !
Tout d'abord, de quoi parle-t-on ? D'un rapport d'information parlemenatire sur le monopole des jeux au regard des règles communautaires, présenté par 2 députés UMP, MM. Emile Blessig (député du Bas-Rhin) et Jacques Myard (député des Yvelines ). Il ne s'agit donc pas d'une mission gouvernementale, ni même d'une proposition de loi, mais seulement d'un document d'information qui émet un avis sur le sujet. A ce titre, il est étonnant de constater que le sujet du rapport n'est même pas définit par les auteurs ! Une manière pour les députés de prendre la parole sur la problématique des jeux d'argent en ligne sous couvert d'une étude juridique. Une méthode courante chez les parlementaires qui est souvent utilisé par des groupes de pression pour faire passer leurs idées et influencer les processus de décision gouvernemental. Au vu des conclusions de cette étude, on peut imaginer qu'elle fut influencée (commandée ?) par les partisans d'un fort interventionnisme de l'Etat (à chacun de juger), il ressort, au final, que ce document est un élément de réflexion apporté au débat en cours et ne reflète que l'avis de ces 2 députés.
Avant de détailler le contenu de ce rapport, il convient avant tout de noter la grande diversité et la grande qualité des personnes entendues par les deux rapporteurs. Le rapport est le fruit d'une étude juridique très détaillée et de recontres très nombreuses, en France mais aussi et surtout à l'étranger (à Londres, Bruxelles, Berlin, Rome, Malte, Helsinsk, Stockhom !). Nous avons comptabilisé 120 personnes rencontrées pour les besoins de l'étude ! On peut voir, parmi les personnes entendues, non seulement des représentants de l'Etat et des organismes associés
mais aussi de nombreux acteurs du monde des jeux, parmi lesquels :
En France :
- M. Bruno Durieux, ancien ministre, inspecteur général des finances et président de la Commission Durieux
- M. Patrick Partouche, président du directoire
- Maître Thibaut Verbiest, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles
- M. Olivier Sigoignet, président ASL-Interactifs (Visionex)
A l'étranger :
- Mme Jenny Williams, Chief Executive de la Gambling Commission à Londres
- Tom Kelly, président-directeur général de Association of British Bookmakers
- Joseph L. Zammit Maempel, président de Lotteries and Gaming Authority à Malte
- M. François Brust, société B3Wgroup
- M. Alexandre Dreyfus, opérateur français créateur d'une société de jeux en ligne à Malte « Chili Poker »
- Maître Marc Miggiani, avocat d'affaires de la société Zeturf
- Sven Rawe, avocat du Cabinet Steltemeier & Rawe, de la société privée de paris en ligne BWin
Sur le fond, la première partie du rapport, consacrée au sujet même du rapport ("le monopole des jeux au regard des règles communautaires"), est extrêmement bien documentée et détaillée. Elle fournit une analyse juridique très juste et fine de l'évolution de la jurisprudence en matière de jeux d'argent qui tend à faire prévaloir la libre prestation des services au détriment du principe initial de subsidiarité (qui permet aux Etats d'exclure les jeux des règles du marché intérieur).
Le rapport rappelle qu’antérieurement à l’arrêt Schindler du 24 mars 1994 – par lequel la Cour a eu pour la première fois à connaitre de la règlementation des jeux – ces derniers relevaient totalement de la subsidiarité. Puis au fil des arrêts, la Cour a développé une jurisprudence qualifiée par les auteurs de "téléologique" - en ce que celle-ci a été guidée par l’unique objectif de faire prévaloir la libre prestation des services. Cette jurisprudence a suscité, selon les auteurs, une "dérive" du fait de la dérèglementation qu’elle a entrainée, comme le reflètent les arrêts Gambelli du 6 novembre 2003 et Placanica du 6 mars 2007. Par le premier, la Cour de justice a déclaré illégal le refus d’octroi d’une licence à Stanley, opérateur britannique qui souhaitait s’établir en Italie. L’arrêt Placanica a confirmé l’interprétation de l’arrêt Gambelli. Cette jurisprudence qui repose sur une interprétation extensive des articles 43 (droit d’établissement) et 49 (libre prestation des services) du traité a eu pour effet d’assimiler les jeux à un commerce ordinaire et de faire prévaloir la logique du marché intérieur, alors que les directives 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique et 2006/123 du 12 décembre 2006 relative aux services avaient expressément exclu les jeux de leur champ d’application. "En érigeant désormais le jeu en une simple activité économique ordinaire - régie par les principes de libre établissement et de libre prestation des services - cette nouvelle jurisprudence - que l'on peut qualifier de prétorienne - marque une rupture non seulement avec les conceptions juridiques et politiques de plusieurs Etats membres mais aussi avec la jurisprudence antérieure de la Cour". Le rapport révèle alors que la Commission, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice, a émis treize avis motivés à l’encontre de plusieurs Etats, dont la France.
Partant de ce constat, le rapport propose de réaffirmer la primauté des Etats dans le domaine des jeux d'argent en rétablissant le principe de subsidiarité. "Nous jugeons absolument essentiel que, pour prévenir des dérives supplémentaires dans le domaine de la politique des jeux, les Etats réaffirment leur primauté et maintiennent un contrôle strict sur cette activité." C'est pouruoi, pour les 2 députés, "il nous apparait impérieux que le Conseil européen soit saisi le plus rapidement possible d'une déclaration, qui comporterait deux points : le premier rappellerait que le jeu ne peut être regardé comme un commerce ordinaire et que, de ce fait, il ne saurait entrer dans le champ d'application de l'article 49 du traité instituant la libre prestation des services. Il importerait, en second lieu, de réaffirmer le droit des Etats, conformément au principe de subsidiarité, de se doter de la politique des jeux de leur choix, en fonction de leur contexte culturel, social et éthique tout en respectant le principe de non discrimination."
La troisième partie du rapport est alors beaucoup moins rigoureuse dans son analyse, laissant la place à une série de lieux communs et points de vue totalement subjectifs, manquant de rigueur et de logique dans le raisonnement et l'analyse. Il est même assez difficile d'en résumer le contenu, tellement la logique est irrationnelle.
Ainsi, les deux députés dénoncent sans ambages les risques des jeux d'argent : "Autour des jeux s'organise tout un monde de délinquance avec blanchiment d'argent, trucages de paris, fraudes, addiction des joueurs", relève Emile Blessig, citant des cas "d'agression électronique", avec racket de sites sous la menace d'introduction de virus. Ils affirment que "70% des joueurs sur internet sont des joueurs au profil fragile". Autant d'arguments qui ne s'appuient sur aucune étude sérieuse et qui relèvent plus de poncifs (bien français) que de faits mesurés. Alors que d'autres pays ont, eux, essayé de mesurer les risques, comme l'Angleterre qui a évalué scientifiquement le nombre de joueurs pathologiques à moins de 3% des joueurs (voir compte-rendu de cette étude). On est loin des 70% évoqués par le rapport et on peut s'étonner de cette ignorance quand on voit que les députés sont censés avoir rencontrés la présidence de la Gambling Commission anglaise !
Après avoir dénoncé les risques d'ordre public des jeux d'argent (risques sanitaires, criminels, éthiques), le rapport n'en préconise pas moins l'ouverture du marché des jeux d'argent en ligne : "Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas ouvrir les yeux sur le nouveau monde engendré par internet. La Planète internet est une réalité qui s'impose à tous, dont on doit tirer les conséquences." En résumé : faisons mauvaise fortune bon cœur et acceptons ce qu'on ne peut pas interdire ! Une vision bien française des choses : plutôt que d'y voir une source de
croissance et accompagner positivement le changement, acceptons le à reculons en l'encadrant fortement. Le rapport est ainsi partisan d'un fort interventionnisme de l'Etat :"Dans cette perspective, les Etats se doivent d'instaurer des dispositifs conciliant contrôle fort et promotion du jeu responsable."
Le rapport préconise ainsi la mise en place d'une autorité unique des jeux et l'attribution de licences par cette autorité. Elle prévoit également la mise en place d'un arsenal répressif : blocage des sites Internet illégaux (c'est-à-dire ceux n'ayant pas reçu l'aval de l'autorité des jeux), blocage des transactions financières des sites illégaux, strict encadrement de la publicité. Elle propose également, dans le cadre de l'ouverture du marché des paris sportifs en ligne, d'interdire les paris à la côte et d'autoriser uniquement les paris mutuels : "A cet égard, les autorités françaises ont parfaitement raison de rappeler dans leur réponse à l'avis motivé qu'en termes d'ordre public, le bookmaking reste potentiellement plus dangereux que le pari mutuel. Cette dangerosité est régulièrement illustrée par la presse qui s'est fait à plusieurs reprises l'écho d'affaires liées à la pratique du bookmaking. Le directeur de Ladbrokes, l'un des grands bookmakers britanniques, déclarait en mai 2004, qu'une course par jour était truquée au Royaume-Uni." Une position qui sera suivie par le gouvernement ? En tout cas, elle reflète clairement l'avis de beaucoup de professionnels français.
La promotion du jeu responsable passe, selon les députés, par la mise en place d'un "Observatoire spécifique chargé d'étudier l'addiction au jeu et d'effectuer des études épidémiologiques, qui font actuellement défaut" (si les députés reconnaissent que les études font défaut, ils ne se gênent pas pour donner des chiffres !!) et des actions de sensibilisation.
Au final, il est intéressant de noter que, même parmi les partisans d'un fort interventionnisme de l'Etat, l'ouverture du marché des jeux d'argent en ligne s'impose comme une nécessité. Pour la première fois, des parlementaires ne défendent plus le monopole français et prônent - du bout des lèvres - la concurrence "sans discrimination". Néanmoins, cette ouverture proposée doit se faire dans un cadre national, loin du regard de Bruxelles et de ses règles de concurrence ! Par leur appartenance au parti gouvernemental, les députés Myard et Blessig ne doivent pas être très loin de la position du gouvernement ! Ce rapport donne ainsi une bonne indication sur l'orientation des propositions qui pourront être faites par le gouvernement.
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poker is good for me
Si tu choisis l'incinération, sache que ce sera ta dernière cuite, Tandis qu'enterré, tu auras toujours une chance d'avoir un petit ver dans le nez.