la Commission Européenne s'oppose au blocage des flux financiers
C'est à une des mesures phare de l'arsenal répressif envisagé par les Etats européens pour interdire les jeux d'argent en ligne que la Commission Européenne vient de donner un coup d'arrêt : le blocage des flux financiers liés aux jeux en ligne illégaux, c'est-à-dire l'interdiction faite aux banques de verser les gains tirés de jeux.
Cette mesure, adoptée par les Etats-Unis dans leur loi anti-jeux de 2006, a été également adoptée par la France dans le cadre de la loi sur la « prévention de délinquance » de novembre 2006. Cette loi a introduit un article L. 565-2 dans le Code monétaire et financier : « Le ministre chargé des finances et le ministre de l'intérieur peuvent décider d'interdire, pour une durée de six mois renouvelable, tout mouvement ou transfert de fonds en provenance des personnes physiques ou morales qui organisent des activités de jeux, paris ou loteries prohibés par la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de règlementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux, ainsi que la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard ». Rappelons également que cette mesure fait partie des propositions du rapport parlementaire Myard-Blessig.
Seulement, voilà : Etienne Wery, avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (Cabinet Ulys), rappelle, dans un article publié sur le site droit-technologie.org, que la Commission Européenne s'oppose à cette pratique. L'Allemagne, qui a mis en place un système de contrôle similaire, vient de recevoir une communication de grief, la première étape de la procédure européenne d'infraction aux Traités.
Pour la Commission, ce système viole l'article 56 (2) du Traité qui interdit les restrictions sur les paiements. La Commission estime aussi que lorsqu'un gain est dû au joueur, la transaction est un transfert d'argent nécessaire à l'exécution d'un service, de sorte que son interdiction est une restriction à la liberté de circulation des capitaux (article 56 (1) du Traité).
Pour que ces restrictions soient acceptables, elles doivent :
- Etre non-discriminatoires
- Etre justifiées par des considérations importantes relatives à l'intérêt général
- Etre à même d'atteindre l'objectif poursuivi
- Etre proportionnées à cet objectif.
Pour la Commission, ces conditions ne sont pas remplies. L'Allemagne doit maintenant se justifier et, si la Commission ne s'estime pas satisfaite, elle trainera l'Etat allemand devant la Cour de justice.
Dans son article, Etienne Wery montre également que cette mesure, outre son risque juridique pour les Etats, est en grande partie difficile à mettre en œuvre, donc inefficace : "En se limitant aux seuls paiements par cartes de crédit, l'on entend qu'il sera simple de répertorier les sites de jeux sur la base de leur Merchant Category Code (MCC). Le code MCC 7995 désigne ainsi les activités de "Betting (including Lottery Tickets), Casino Gaming Chips, Off-Track Betting and Wagers". La réalité est plus complexe : les monopoles d'état, les opérateurs légaux et ceux qui ne le sont pas, partagent le même code. Ensuite, de nombreux opérateurs offrent d'autres modes de paiement, parmi lesquels des instruments de monnaie électronique (Neteller, PayPal, etc.) qui ne reposent pas sur les MCC. Egalement, comment la législation fera-telle pour appréhender les chèques ? On le voit, les failles sont nombreuses : pour un résultat très approximatif, la législation ajoute une dose de répression en plus, un moyen de pression de plus, un peu plus de tension, ... et des frais considérables sur les établissements de crédit. Lesquels frais seront toujours, in fine, payés par tous le utilisateurs des dits établissements, qu'ils jouent ou non sur des sites de jeux et paris."
Une difficulté de mise en œuvre et un risque juridique qui expliquent surement l'absence de mise en place effective de cette mesure en France, les décrets d'application n'ayant jamais été publiés. D'ailleurs, les banques françaises semblent réticentes à mettre en œuvre ce type d'opération, comme le révélait le site PokerNews en août dernier. Selon la Fédération Bancaire Française, les banques ne peuvent exercer « aucune forme de discrimination à l'égard d'un commerce en ligne particulier » et « appliquent comme il se doit les dispositions légales et règlementaires qui concernent ce type de commerce". Pour HSBC, « la banque, en qualité de mandataire, exécute les ordres de son client et n'a pas à se faire juge de l'opération ». Or, « à ce jour, si un texte de loi est venu légiférer dans le domaine des transferts [vers les sites de jeux d'argent], le texte d'application n'est pas paru. En l'absence d'interdiction, la Banque n'a pas et ne doit pas mettre en œuvre de telles dispositions. Nous mettrons en œuvre les dispositions nécessaires lorsque les textes entreront en vigueur, et ce, sous le contrôle des autorités de tutelle.»
Si la loi est restée lettre morte en France, on peut également noter que les Etats-Unis, à l'initiative de cette mesure, font également face au mécontentement des acteurs financiers qui s'opposent à la mise en place de cette mesure. D'ailleurs, comme en France, il semble que les mesures d'application de cette loi n'aient toujours pas été publiés. Rappelons d'ailleurs que cette mesure de blocage des flux financiers a valu aux USA une condamnation à l'OMC en Avril 2007 et une demande de compensation de la part de l'Europe qui s'est soldé par un accord en décembre 2007.
Source : Droit-technologie
avec en relais : Les dernières nouvelles de l'industrie des jeux d'argent en ligne
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Si tu choisis l'incinération, sache que ce sera ta dernière cuite, Tandis qu'enterré, tu auras toujours une chance d'avoir un petit ver dans le nez.